L’Express – Vote par correspondance : « On ne joue pas avec les élections »

La défiance des Français à l’égard de leurs institutions n’a jamais été aussi forte. Peut-on toucher à l’organisation des élections dans ce contexte ?

 

Oui, il y une vraie défiance vis-à-vis de la politique, qui ne date pas d’hier. Dans ce contexte, le report récent du deuxième tour des élections municipales a nourri des polémiques et des suspicions sur ses raisons et ses modalités. En période de crise sanitaire, trop déplacer les curseurs en matière électorale apparaît extrêmement risqué. Dans la loi de clarification du droit électoral de décembre 2019, nous avons voté une disposition : on ne peut pas changer les circonscriptions ou le régime électoral dans l’année qui précède un scrutin. On ne joue pas avec les élections. Et plus on approche des échéances, plus on risque d’alimenter la défiance. Il faut au contraire prendre le temps de la réflexion, de la construction d’un consensus politique et, avant tout, voir ces questions dans leur globalité.

 

Vous jugez donc le vote par correspondance inopportun dans le contexte actuel mais, techniquement, serait-il possible de l’adopter dès les élections locales de 2021 ?

 

Je ne crois pas que l’on pourrait l’instaurer en quelques mois. Une sécurisation totale ne s’improvise pas. Vérification de l’identité, nombre d’enveloppes, envois par lettres recommandées… C’est techniquement compliqué et cela coûte de l’argent. A titre d’exemple, le vote électronique mis en place pour l’élection des députés des Français de l’étranger en juin 2017 a coûté un million d’euros pour 30 000 votes pris en compte. 35 euros par vote ! Mais, surtout, mon principal questionnement quant au vote par correspondance est sa compatibilité avec notre mode de scrutin à deux tours. Aux élections législatives et locales, le laps de temps entre les deux tours est d’une semaine et les participants ont jusqu’au mardi soir pour fusionner leurs listes ou se maintenir. A supposer que l’on adopte le vote par correspondance, il faudrait qu’il se combine avec cette temporalité réduite entre le premier et le deuxième tour. Réfléchissons aussi à l’impact qu’aurait le vote par correspondance sur l’élection présidentielle. Le débat d’entre-deux-tours a vocation à éclairer les citoyens. En 2017, Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont débattu le mercredi 3 mai, quatre jours avant l’élection. En quoi les électeurs auraient-ils été éclairés par ces échanges si le vote était déjà ouvert depuis plusieurs jours ? Ils auraient eu un degré d’information différent selon le moment où ils auraient voté.

 

Au-delà du vote par correspondance, que faudrait-il remettre à plat pour lutter contre l’abstention ?

 

Il y a une multitude de pistes à débattre pour améliorer la participation et apaiser la défiance des citoyens envers la politique. Prenons l’inscription d’office sur les listes électorales. Elle fonctionne aujourd’hui avec le recensement. Ne pourrait-on pas simplifier le transfert d’inscription sur les listes lorsque l’on déménage ? Si certains services, comme les impôts, savent nous suivre à la trace, pourquoi 100% des Français en capacité de voter ne seraient-ils pas automatiquement inscrits sur la bonne liste ?

 

On peut s’intéresser aux autres modalités du vote : électronique, par anticipation, par procuration. L’extension de la durée ou des lieux de vote est aussi à explorer. Au lieu d’un vote dans une mairie ou une école le dimanche, on peut imaginer voter sur un laps de temps plus large dans d’autres lieux. Le vote obligatoire ou le vote blanc sont également deux pistes évoquées pour lutter contre l’abstention. Quitte à avoir un débat, veillons à ce qu’il soit exhaustif.

 

Face à la crise sanitaire, quels ajustements sont encore possibles pour endiguer l’abstention aux élections locales de 2021 ?

 

La participation est un enjeu global, qui va bien au-delà des seules élections régionales et départementales de 2021. La priorité pour ces élections est d’assurer la sécurité sanitaire des électeurs le jour J. On peut s’inspirer des aménagements prévus pour le deuxième tour des élections municipales et qui font consensus : simplification des procurations, possibilité de porter deux procurations, déplacement auprès des personnes fragiles pour établir et collecter ces procurations.

 

Voyez-vous dans le vote par correspondance aux Etats-Unis un moyen fabuleux de doper la participation ou un processus qui nourrit la suspicion et la contestation des résultats ?

 

Les deux, mais comparaison n’est pas raison. Cela m’inspire plus de questions que de réponses. Pourquoi le vote par correspondance prospère-t-il aux Etats-Unis ? Disposent-ils de l’extraordinaire maillage territorial de bureaux de vote que nous avons en France ? A l’heure des fake news et des tentatives d’ingérence de plus en plus fréquentes, il faut aussi être très rigoureux sur la sécurisation du vote à distance, qu’il soit par correspondance ou électronique. Il ne faudrait pas prêter le flanc à un risque de fraude organisée par une puissance étrangère ou, comme le craint Gérald Darmanin, au risque que ne s’exercent des pressions familiales ou communautaires.

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