9 déc. 2024 50 ans de la loi Veil

Nous sommes le 26 novembre 1974, il y a 50 ans. 

Ce jour-là, Simone Veil a écrit l’histoire. Et c’est pour rendre hommage à cette femme que j’ai inauguré ce 26 novembre une exposition pour fêter les 50 ans de l’interruption volontaire de grossesse. 

Après son discours rentré dans l’histoire de l’éloquence parlementaire, vint le temps des débats parlementaires, que Simone Veil qualifia de « séances épuisantes». 

Durant des mois, son cabinet reçut des lettres par centaines, et lorsque ses assistantes osaient les ouvrir, elles lisaient des horreurs comme « Méthodes nazies importées des camps ». 

L’antisémitisme épistolaire est malheureusement une tradition toujours vivace en France. 

À l'Assemblée aussi, le débat vira au pugilat. Hector Rolland reprocha « le choix d’un génocide ». Le pire ? Ce fut Jean-Marie Daillet : il osa parler « d’embryons jetés au four crématoire » devant la déportée numéro 78 651. 

Face aux attaques, Simone ne céda rien. Pourquoi ? Parce qu’elle savait que derrière ces vociférations, il y avait des silences plus puissants : ceux des femmes écrasées par l’interdit. 

« Je n’avais pas d’états d’âme », confie-t-elle. « Je savais où j’allais. Il fallait que la loi passe. » 

Et pour qu'elle passe, Simone élabora un compromis audacieux : une loi légalisant l’avortement, mais pour cinq ans, sans remboursement et avec une clause de conscience pour les médecins. 

C'est cette habileté politique qui lui permit d’obtenir un vote favorable, avec 47 voix de majorité – plus que prévu. Il était 3h30 du matin, ce 29 novembre 1974. 

Mais ce n'est pas le début de la fin - seulement la fin du commencement.

Pérennisé en 1979, l’avortement est remboursé avec la loi Roudy de 1982. D’autres victoires – d'autres « progrès » dirait Simone – suivront. Notre exposition les évoque en détail. 

En 1993, est créé le délit l’entrave à l’IVG, renforcé en 2004 et 2017. 

En 2014, - il y a dix ans seulement ! - la condition de situation de détresse est enfin supprimée. Puis, en 2022, grâce à la loi qu’a portée Albane Gaillot, le délai de recours est étendu jusqu'à la 14e semaine et les compétences des sages-femmes sont élargies pour améliorer l’offre de soins. 

Nous sommes donc en 2022. Voici l’IVG inscrite dans notre loi. Mais pas encore dans notre loi suprême. Après tout, la loi Veil, jadis loi de dissensus, n’était-elle pas devenue loi de consensus ? 

Et pourtant, l’actualité Outre-Atlantique nous rattrapait, nous montrant que le combat pour les droits des femmes est une bataille de chaque instant, même dans les grandes démocraties. Je me souviens toujours de ce que me dit Nancy Pelosi : on pensait que tout retour en arrière serait impossible. Et puis, il y eut le renversement de Roe versus Wade

Alors il ne faut pas transiger. Ce progrès, il faut le mettre à l’abri des aléas politiques. Cela signifie : le constitutionnaliser. 

Nous sommes désormais le 4 mars 2024.

Ce jour-là, la « liberté garantie » à l’avortement est constitutionnalisée par 780 voix pour, 72 contre. 

Aujourd'hui, cette loi constitutionnelle est pour la première fois exposée au public dans la maison du Peuple. Aujourd'hui, « il suffit de regarder le monde » pour mesurer que l’IVG est un progrès, mais pas un acquis. Il suffit de regarder les Amériques, l’Afrique, le Moyen-Orient, la Hongrie, pour mesurer que la France a envoyé un message universel. 

La carte que nous exposons, grâce au Forum parlementaire européen des droits sexuels et reproductifs, le rappelle : alors que nous célébrions le 25 novembre la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, 4 femmes sur 10 dans le monde font face une violence archaïque. Celle des cintres et des tringles à rideau. 

Aux États-Unis, 7 référendums viennent de renforcer l’IVG, mais 3 ont échoué. En Pologne, le dernier projet de loi, d’ailleurs très mesuré, pour dépénaliser l’aide à l'avortement, a été rejeté à trois voix près. « J'ai peur de tomber enceinte en Pologne » : c'est ce qu'a confié Aleksandra Socha, 26 ans, étudiante à Varsovie. 

Et même lorsque des lois sont votées, il faut encore que l’IVG soit accessible, géographiquement, financièrement : parce qu'une loi ne fait pas tout, elle peut aussi rester une barrière de papier. 

50 ans se sont écoulés, et pourtant ce discours trouve encore écho en nous - tant il était empli de gravité et de vérité. Simone Veil nous a légué bien plus qu'une loi. Elle nous a légué un exemple. Il est de notre devoir de le faire vivre. 

Les derniers mots de son discours historique, Simone les a voulus pour les générations futures – c'est-à-dire la nôtre aujourd'hui. 

Les derniers mots de ce billet seront donc ceux de Simone :« Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l'avenir. Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu'elles diffèrent de nous ; nous les avons nous-mêmes élevées de façon différente de celle dont nous l'avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d'enthousiasme. » Merci. Merci Madame Veil.