Réforme constitutionnelle : début de l’examen

Mardi 26 juin, nous avons entamé en commission des Lois l’examen du projet de révision constitutionnelle dont j’ai l’honneur d’être co-rapporteure, aux côtés de mes collègues Richard Ferrand , Président du groupe LREM à l’Assemblée, et Marc Fesneau, Président du groupe MoDem. J’ai présenté l’état de mes réflexions sur le texte, suite à mes travaux préparatoires à l’examen, avant le démarrage des débats.

Mon discours en vidéo

 

Le texte

Monsieur le Président,

Monsieur le rapporteur général,

Monsieur le rapporteur, mes chers collègues,

Nous sommes aujourd’hui à l’aube d’un instant dont chacun mesure l’importance.

Il y a à peine un an, les citoyens nous ont donné mandat pour siéger ici, à l’Assemblée, pour exercer le pouvoir législatif. Nous l’exerçons différemment. Je le revendique. Je suis même convaincue que notre Assemblée en avait besoin, même si les vieux codes refont parfois surface.

Cela participe d’une transformation de nos institutions que nos concitoyens souhaitaient depuis longtemps. Cette transformation, nous nous apprêtons à la poursuivre, tous ensemble, en nous attachant aujourd’hui à un autre type d’exercice. Celui du pouvoir constituant.

Un exercice nécessairement empreint de solennité puisqu’il consiste à modifier le texte juridique qui fonde notre Etat de droit. Et pour ce faire, vous m’avez confié une responsabilité : co-rapporter en votre nom un projet de loi constitutionnelle de grande ampleur. Cette responsabilité, comme à l’accoutumée, peut-être même plus qu’à l’accoutumée, je l’endosse pleinement, avec un intérêt à la hauteur des enjeux. Avec plaisir aussi, celui de travailler aux côtés de Richard Ferrand et Marc Fesneau.

Le chemin qui nous amènera à réviser notre Constitution ne fait que commencer. Au stade de la commission, je viens vous rendre compte de l’état de ma réflexion. Nos débats nous permettront, j’en suis sûre, de l’enrichir : il n’y a pas d’intelligence qui ne soit collective. Et puis il y aura la navette, une navette un peu particulière puisqu’elle a vocation à nous conduire, conformément aux termes de l’article 89 de la Constitution, à Versailles ou devant le peuple français.

Pour travailler sur ce texte, il nous était d’indispensable d’écouter ceux qui ont vocation à s’exprimer sur les sujets qui nous intéressent, mais aussi de tirer les leçons du passé, pour mieux préparer l’avenir. Pour ma part, je vous ai invité à entendre des représentants des juridictions, Cour de cassation, Cour de Justice de la République, Cour d’appel et Tribunal de grande instance de Paris. J’ai convié à participer à nos travaux le président du Conseil économique, social et environnemental et la présidente de la Commission nationale du débat public. Nous avons également fait venir des conseillers d’Etat, des avocats, des universitaires, et des personnalités éminentes : je pense à Robert Badinter, à Jean-Louis Debré, à Pierre Mazeaud enfin qui présida avant moi cette belle commission des Lois et qui, à ce titre, rapporta jadis, lui aussi, un projet de loi constitutionnelle, et même deux : celui de 1995, qui institua la session parlementaire unique ; celui de 1996, qui institua les lois de financement de la sécurité sociale dont le projet de loi qui nous réunit propose d’ailleurs de modifier les conditions d’examen. Un autre de mes prédécesseurs, Jean-Luc Warsmann, lui aussi présent aujourd’hui, avait rapporté la révision constitutionnelle de 2008, celle à qui nous devons une forte revalorisation des pouvoirs du Parlement : avant 2008 en effet, pas de texte de la commission, pas de ministre en commission, pas d’ordre du jour partagé, pas d’études d’impact, pas de saisine du Conseil d’État sur les propositions de loi, pas de droits spécifiques pour l’opposition, pas de question prioritaire de constitutionnalité…

Le projet de loi dont nous allons débattre propose une nouvelle étape, pour que notre démocratie soit « plus représentative, responsable et efficace ». Ce n’est pas un texte de circonstance. Le 6 juin, lorsque nous avons auditionné la garde des Sceaux, j’avais souhaité l’inscrire dans un temps long et dans une cohérence politique. De ce point de vue, je n’ai pas varié. Nous avons l’ambition d’achever enfin des évolutions attendues depuis longtemps, qui ont même été débattues sinon votées parfois, mais qui n’ont jamais été menées à leur terme. Nombre des mesures qui nous sont proposées mettent en œuvre des engagements que nous avons pris devant les Français à l’occasion des dernières élections, et donnent tout leur sens à des réformes engagées, notamment, par la loi pour la confiance dans la vie politique.

Sur le fond, et sans préjudice de nos débats, je voudrais vous faire part de quelques réflexions qui concernent les sujets dont je suis plus particulièrement en charge. Ils pouvaient sembler simples, ils ne le sont pas : les nombreux amendements qui ont été déposés sur les articles concernés, qui soulèvent parfois de fort belles questions de principe, en témoignent.

Je n’ai guère hésité sur l’article 1er, qui prévoit l’incompatibilité des fonctions de membre du Gouvernement avec l’exercice de fonctions exécutives locales. En 2012, la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin, considérait déjà que, je cite : « Les responsabilités locales sont trop importantes pour être exercées par des hommes et des femmes politiques par ailleurs chargés d’une fonction ministérielle ». Nous sommes au rendez-vous, nous mettons fin à ce cumul, je pense que nous pouvons parvenir à un consensus sur ce point.

Le climat nous retiendra davantage. On a beaucoup parlé de l’article 1er, ou de l’article 34… Une chose est certaine : alors que la France a pris la tête des nations entendant agir contre les changements climatiques lors du sommet de Paris en 2015, nous souhaitons que la Constitution soit porteuse de ce choix. Je suis confiante : nous trouverons la voie la plus appropriée.

De même, incontestable me paraît être la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel : que les anciens Présidents de la République y siègent à vie était une incongruité que la question prioritaire de constitutionnalité a rendu plus évidente encore. On en parlait déjà il y a 25 ans, nous allons le faire !

S’agissant du Conseil Supérieur de la magistrature, je voudrais dire : enfin ! Sous les deux précédentes législatures des tentatives ont été faites pour progresser sur la voie de l’indépendance de la justice. Un texte a même été voté dans les mêmes termes par les deux assemblées. L’action politique ne doit pas être impuissante à ce point ! Il nous appartient d’affermir les garanties relatives à l’indépendance des magistrats du parquet : il est proposé que ces magistrats soient nommés sur avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature, j’y souscris.

S’agissant de la Cour de Justice de la République, les choix sont plus difficiles. Il est dans la tradition française, depuis l’Ancien régime, de soumettre la responsabilité pénale des ministres à des juridictions d’exception. Depuis la Révolution, un seul ministre, M. Charles Baihaut, a été condamné par une juridiction de droit commun : c’était en 1893, il s’agissait d’une infraction commise dans l’affaire du canal de Panama et la peine fut prononcée par la cour d’assises de la Seine.

On peut comprendre cette particularité. Il existe un écart entre la responsabilité pénale potentielle des ministres et celle du citoyen ordinaire, même exerçant des responsabilités professionnelles. Mais les juridictions d’exception sont d’un autre temps. La nécessité de rapprocher du droit commun la responsabilité pénale des membres du Gouvernement et les critiques que suscite la composition de la Cour de justice de la République, la lenteur de sa procédure ainsi que le sens de certaines de ses décisions, justifient la réforme du régime de responsabilité pénale des ministres proposée par l’article 13 du projet de loi.

Le projet de loi met fin, je cite le professeur Bertrand Mathieu, au « refus de confier à l’autorité judiciaire le jugement des ministres qui maintenait l’ambiguïté de la nature de la responsabilité des membres du gouvernement ».

Il reste que, sur deux points, je m’interroge encore.

Faut-il maintenir deux voies différentes, une pour les ministres, une autre pour les coauteurs ou complices présumés, alors même que cette séparation a été critiquée par le passé ? Peut-on admettre que pour les mêmes faits, on puisse être condamné d’un côté et relaxé de l’autre – c’est arrivé. Nous avons tous en mémoire, par ailleurs, le cas de l’ancien directeur de cabinet de Mme Lagarde, mis en examen dans le cadre d’une procédure de droit commun et qui refusa de témoigner devant la CJR.

Ne faut-il pas prévoir, comme pour les autres justiciables, un double degré de juridiction, avec une possibilité d’appel ?

Je ne m’interdis pas de continuer à y réfléchir.

Reste enfin la question du Conseil économique, social et environnemental, qui peine à trouver sa place dans notre système institutionnel. Malgré les réformes, la représentativité et le mode de désignation de ses membres continuent de faire l’objet de critiques. Le nombre de saisines, gouvernementales ou parlementaires, demeure faible et la saisine par pétition ne fonctionne manifestement pas : une seule a dépassé le seuil des 500 000 signatures, mais elle a été déclarée irrecevable. Les rapports et avis que le CESE rend chaque année apparaissent parfois redondants avec les travaux menés au sein des assemblées.

Le projet de loi constitutionnelle propose de transformer le CESE en une chambre de la société civile, dont la mission serait de créer entre la société civile et les organes politiques un trait d’union, fait de dialogue constructif et de propositions suivies d’effets. Je souscris à cette orientation. Dans le même temps, à l’issue des auditions que j’ai conduites, il m’est apparu que la vraie plus-value du CESE était de fournir un espace de dialogue indispensable aux corps constitués. Il apparaît que pour donner à cet organe consultatif la place qui doit être la sienne, c’est cette plus-value qu’il faut préserver ET renforcer. Le CESE pourrait ainsi devenir le lieu par excellence du dialogue citoyen et de la démocratie participative. C’est ce à quoi aspirent nos concitoyens.

Cela passera d’abord par un changement de nom. C’est pourquoi je vous propose de le rebaptiser « Forum de la République », une appellation qui correspond davantage à la mission qui doit être la sienne et qui sera plus respectueuse du Parlement, car l’appellation de « Chambre » en a heurté plus d’un.

Ensuite, je vous propose, tout en reprenant les missions et les autorités de saisine prévues dans le projet de loi constitutionnelle, de supprimer le caractère obligatoire de la saisine sur les projets de loi à caractère économique, social et environnemental. Il est en effet à craindre que cette extension du champ de la saisine obligatoire n’entraîne un alourdissement considérable de la charge de travail de l’institution : les projets de loi ayant un objet économique, social ou environnemental ont représenté entre 30 et 40 % des projets de loi ces dernières années. L’allongement de la procédure d’adoption des projets qui en résulterait irait à l’encontre de l’objectif d’accélération de leur adoption recherché par le projet de loi constitutionnelle.

Enfin, je vous propose de préciser à quel moment le Forum de la République pourra être consulté :

– sur les projets de loi ayant un objet économique, social ou environnemental : avant le dépôt du texte sur le bureau de l’une des deux assemblées ;

– sur les propositions de loi ayant le même objet : avant l’examen du texte en commission, sauf si son auteur s’y est opposé, comme pour la saisine du Conseil d’État.

Voici l’état de mes réflexions. Je n’en dirai pas plus, nous avons devant nous de longues heures de débat. J’en attends beaucoup. « La dignité de la norme suprême exige qu’elle ne soit pas surchargée de dispositions de rang inférieur » a écrit le Conseil d’Etat. Cela mérite assurément des échanges « de rang supérieur » !

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